Qui mieux que la saucisse de Morteau peut être associé au vocable « produit du terroir » ?
A n’en pas douter, le nom de la ville de Morteau est accolé d’une manière indélébile à celui de la saucisse éponyme. Une référence gourmande au même titre que dans la région de Franche-Comté, le Comté (AOC), la cancoillotte ou encore les vins du Jura (AOC).
Classé IGP depuis 2010, la Belle de Morteau a acquis ses lettres de noblesse au fil du temps, sans doute depuis le XVIIè siècle et sa probable arrivée de Suisse. Elle peut donc s’enorgueillir d’être une jeunesse de 500 printemps au moins et qui n’a pris une ride !

Jean-Christophe Bouhéret (Morteau - Doubs), avec ses Morteau IGP & Label Rouge

Pour beaucoup d’entre nous, gourmets, gourmands ou simplement consommateurs, la salaison à cuire est un produit hivernal. Que nenni !
Si elle excelle l’hiver, cuite au Poulsard et accompagnée de pommes de terre franc-comtoises et de cancoillotte par exemple, elle se dénude également avec bonheur l’été et durant les inter saisons, froide autour d’une salade, cuite au barbecue ou encore cuite dans un papier d’aluminium, 35’ sous la cendre (Cuisson la torrée). Mais parfois les idées reçues sont tenaces !

En d’autres termes vous aurez vite compris que le syndicat de défense avec ses 31 salaisonniers veut en faire une saucisse de toutes les saisons. Avec bonheur gourmand, s’entend !
Jadis, dans ce secteur géographiques aux hivers très souvent rigoureux (Pour mémoire Mouttes est le village le plus froid de France) , afin de mieux conserver cette viande de porc, les saucisses étaient séchées et fumées dans un tuyé. Une énorme cheminée pyramidale en bois, construite le plus souvent au centre des fermes dans un espace intérieur, pour ne pas dire une cour centrale à la façon des riads marocains.
Inutile de dire que les résineux des forêts environnantes et parfois le genévrier étaient utilisés pour faire de la cendre et donner un goût aussi particulier que typique à ces salaisons, saucisse en tête.
Pour Noël on confectionnait même en plat de fête avec les meilleurs morceaux une saucisse plus grosse que les autres, le Jésu. (Pour les puristes, Jésu en charcuterie ne prend pas de s).


Depuis 2004 et surtout depuis sa labellisation IGP en 2010 la saucisse de Morteau, s’est structurée en filière (A2M), rejointe par sa cadette de Montbéliard. Ce syndicat de défense avec direction collégiale s’est donnée un cahier des charges extrêmement rigoureux. Michel Delacroix en est l’infatigable président. Ainsi, lors de notre rencontre gourmande il pestait contre un supermarché qui n’avait pas respecté la règle des prix et de l’exact terminologie.
« J’ai été voir ce matin le directeur pour lui signifier que j’alertais de suite la DGCCRF, tout en vérifiant si le salaisonnier qui avait vendu le produit était bien membre d’A2M et à ce titre avait le droit de vendre des « saucisses de Morteau ». Il ne faut pas confondre saucisse de Morteau et saucisse fumée renchérit en pestant dans sa barbe !
Ancien président de la Chambre régionale d’agriculture Michel Delacroix est intransigeant. « Il en va de la qualité et de la survie gourmande de ce qui est un emblème régional en Franche Comté. Doubs, Jura, Haute-Saône et Territoire de Belfort ».

Cette filière regroupe donc sous le signe A2M (2M pour Morteau et Montbéliard) 14 fabricants d’aliments du bétail, 168 sites d’élevage porcin, 3 abattoirs prestataires et 6 abatteurs découpeurs, ainsi que 31 fabricants salaisonniers (6 industriels et 25 artisanaux).
Ses missions fondamentales étant la qualité, la promotion et la représentation, de tous ses acteurs, sans compter la défense de leurs intérêts.
Il est vrai que ces missions sont parfois délicates et que certains sont tentés de transgresser les règles, par forcément les industriels du reste, soit en vendant en dessous du tarif, soit encore en faisant passer des saucisses fumées pour des Morteau !

Le cercle vertueux !

Qui plus est, cette démarche se situe également dans un cercle agricole vertueux à la mode développement durable :
En Franche-Comté, les prairies nourrissent des vaches qui produisent du lait. On en fait des fromages. Le petit-lait ou laco sérum issu de la fabrication fromagère, comme le Comté, alimente des cochons qui produisent de la viande. On en fait des salaisons fumées telles que la Morteau. Les cochons produisent aussi du lisier qui fertilise les prairies où paissent les vaches. Le petit lait, un co-produit riche en nutriments, est recyclé grâce aux porcs qui le transforment en un élément fertilisant, le lisier.
La boucle est bouclée !


En plus de la toute récente récompense européenne IGP, parfois complétée d’un Label Rouge, cette belle de Morteau vaut bien une fête qui se déroule chaque année le 3è week-end d’août « Le Flambée » accompagnée cette année pour la première fois d’un concours de cuisine intitulé « Chapeau Chef ». Organisé par la filière A2M, le quotidien régional L’Est Républicain et le chef étoilé Jacques Barnachon, agissant au nom de l’association Eurotoques dont il est l’un des administrateurs nationaux, la finale de ce concours avec présélections départementales s’est déroulée à Morteau dans les cuisines du restaurant Jacques Alexandre avec quatre finalistes (Voir notre article précédant). La doubsienne et fromagère Fabienne Cattet étant la gagnante de cette 1è édition.
Michel Godet-©27 août 2001

Un produit du terroir digne de ce nom se doit de posséder sa propre Confrérie !

Quelques données :
Environ 4 000 tonnes de saucisse de Morteau IGP fabriquées annuellement. La filière emploie un bon millier de personnes et représente un CA valorisé entre 250 et 300m€
L’élevage porcin de Franche Comté représente 0,8% de l’élevage français, soit 92 000 porcs (60 000 étant exclusivement nourris au lactosérum).

Les différentes étapes de fabrication :
Elevage du porc, abattage, découpe, salage, hachage et fabrication de la mêlée (chair à saucisse), pétrissage de la “mêlée” avec les autres ingrédients, embossage “à la main” dans les boyaux (une cheville, petite baguette de bois ou épine ferme l’une des extrémités du boyau naturel de porc, essuyage (égouttage et/ou étuvage) pour éliminer le surplus d’eau et permettre à la fumée de mieux mieux pénétrer, fumage lent à froid (20 à 25°) aux résineux dans un tuyé de Franche-Comté de 1 à 7 jours.


POUR FABRIQUER UNE SAUCISSE DE MORTEAU, IL FAUT :
Du maigre et du gras de porc engraissés au lactosérum, hachés plutôt gros
Un peu de sel et de poivre. Une pincée de sucre, un soupçon de salpêtre ayant fonction de conservateurs naturels. Parfois des épices : cumin, carvi, ail, échalote, coriandre, muscade… Aucun additif de synthèse ni colorants. On utilise un boyau de porc naturel. On ferme la saucisse à l’une de ses extrémités avec une fi celle de chanvre, de lin ou de coton.
De l’autre avec la cheville à bouts carrés. C’est tout.
Trois fois rien, mais un presque rien de qualité assaisonné de beaucoup de génie pour une IGP incontournable !

Si vous passez par Morteau, cette charmante petite commune doubsienne de 7 000 âmes, arrêtez-vous chez le dernier charcutier salaisonnier de la ville, Jean-Christophe Bouhéret.
Vous pourrez également trouver ses Morteau IGP et Label Rouge à Lyon-Vaise au Fil à beurre. Je vous recommande aussi ses petites saucisses sèches fumées et sa superbe langue de bœuf fumée au tuyé. Profitez-en pour ramener de la cancoillotte (à l’ail ou au vin jaune), du Comté AOC, un joli morceau de Morbier et quelques flacons de Jura.
Bon appétit.
Nous ne manquerons pas dans les jours à venir de vous proposer quelques recettes à base de Morteau…

Le petit glossaire gourmand de la Morteau !


BOYAU NATUREL : Boyau provenant exclusivement du gros intestin du porc. Celui-ci se découpe en différentes parties selon son diamètre : suivant, chaudin, caecum…


CHEVILLE : petite baguette de bois qui ferme

l’une des extrémités du boyau en vue de son embossage. A l’origine, il s’agissait d’un bois carré taillé par les paysans, ou épine de bois.

EGOUTTAGE : temps de repos après l’embossage de la saucisse, qui lui permet de perdre son humidité superflue et de se stabiliser.

EMBOSSAGE ou POUSSAGE : Action consistant à faire entrer une préparation de viande dans un boyau naturel

ETUVAGE : Action consistant à placer la saucisse dans une enceinte chauffée et ventilée où elle pourra s’assécher et maturer.


FUMOIR : Local fermé dans lequel les salaisons sont suspendues et exposées à de la fumée naturelle pendant un temps déterminé, afin que celle-ci leur communique ses arômes et sa couleur.

PETIT-LAIT ou LACTOSERUM : liquide restant du lait après la fabrication du fromage, et valorisé en Franche-Comté pour engraisser des porcs.


MELEE : Mélange constitué de maigre et de gras dur de porc pétris avec les épices et ingrédients requis par la recette du fabricant.

PERCHE : Matériel permettant la suspension des saucisses de Morteau à l’intérieur du fumoir ou du tuyé pour le fumage.

PORC : Animal de l’espèce porcine, quels que soient son âge et son sexe, élevé pour la reproduction ou l’engraissement.

PORC CHARCUTIER : Porc mâle ou femelle ayant achevé sa période d’engraissement et destiné à être abattu pour la production de viande.

PORCELET : Porc depuis sa naissance jusqu’à sa mise en engraissement.

SALAISON : produit à base de viande salée, puis selon le cas séchée, fumée ou cuite.

SALAISONNIER : fabricant de salaisons (charcuteries).

SOUPE : Mélange de céréales et d’eau ou de petit-lait constituant les repas des porcs au cours de la journée.

TRUIE : Porc femelle après sa première mise bas

TUE ou TUYE ou THUE : type de fumoir traditionnel que l’on trouve en Franche-Comté, constitué d’une pièce aérée surmontée d’une vaste cheminée pyramidale munie de vantaux. La circulation de la fumée s’effectue ainsi uniquement grâce au tirage naturel.